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29 juin 2007 5 29 /06 /juin /2007 09:21
"Elle avait bien cru perdre son amant au moment où celui-ci s'était marié. D'abord, elle avait été soutenue par un mouvement d'indignation contre la brutalité sournoise de sa fuite. Mais elle n'avait point le sens de la révolte contre les hommes et elle était profondément entichée elle-même des considérations d'établissement  qui avaient motivé la démarche de Camille. Elle avait senti aussi dans une fuite aussi brusque un hommage de Camille au pouvoir charnel qu'elle avait sur lui. Elle avait eu des coups de colère, des mouvements injurieux, et puis, peu à peu, plus rien que des larmes.
Sa patronne et ses camarades - car elle était encore vendeuse - l'avaient vue dépérir. C'était le second coup qu'elle recevait de la vie, et c'était un coup de trop. Elle qui était toute soumission et toute modestie ne s'en sentait pas moins écrasée. Elle n'avait pas demandé à ce sénateur, à ce jeune avocat ce qu'ils lui avaient avant tout refusé, qu'ils lui partageassent leur avantage social; mais elle avait été frustrée par leur abandon de cela même dont elle se contentait si généreusement, de deux heures d'affection chaque jour. Sa bonté physique et morale agonisait de se voir refuser ses dons. Elle qui était faite pour tant donner, on refusait d'accepter d'elle quoi que ce fût. Et puis, elle était faite pour un seul homme, elle ne pouvait pas se déprendre et s'éprendre sans un effroyable dommage intérieur."

Pierre Drieu la Rochelle (1893 - 1945), Rêveuse bourgeoisie

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Henri Gervex (1852 - 1929), Portrait de la couturière Madame Paquin
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20 mai 2007 7 20 /05 /mai /2007 05:13
"Il y a des plaisirs qui passent pour des crimes, c'est que communément on n'y a pas goûté. Du temps qu'il y avait des esclaves, le loisir qu'on avait d'essayer au moins presque toute chose rendait moins sévère le jugement qu'on en portait. Je ne dis pas cela par excuse."

Louis Aragon (1897 - 1982), "Paris la nuit", in Le Libertinage

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Eugène Delacroix (1798 - 1863), Etude pour La mort de Sardanapale
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6 mai 2007 7 06 /05 /mai /2007 05:35
"   Madame, voulez-vous me permettre à mon tour de vous parler brutalement, sans ménagements galants, comme je parlerais à un ami qui voudrait prononcer des voeux éternels ?
    Moi non plus, je ne sais pas si je vous aime. Je ne le saurais vraiment qu'après cette chose qui vous révolte tant. [...]
    La caresse, Madame, c'est l'épreuve de l'amour. Quand notre ardeur s'éteint après l'étreinte, nous nous étions trompés. Quand elle grandit, nous nous aimions. [...]
    [...] quand cette sorte de nuage d'affection, qu'on appelle l'amour, a enveloppé deux êtres, quand ils ont pensé l'un à l'autre, longtemps, toujours, quand le souvenir pendant l'éloignement veille sans cesse, le jour, la nuit, apportant à l'âme les traits du visage, et le sourire, et le son de la voix ; quand on a été obsédé, possédé par la forme absente et toujours visible, n'est-il pas naturel que les bras s'ouvrent enfin, que les lèvres s'unissent et que les corps se mêlent ?
    N'avez-vous jamais eu le désir du baiser ? Dites-moi si les lèvres n'appellent pas les lèvres, et si le regard clair, qui semble couler dans les veines, ne soulève pas des ardeurs furieuses, irrésistibles ?
   [...] Aimons la caresse savoureuse comme le vin qui grise, comme le fruit mûr qui parfume la bouche, comme tout ce qui pénètre notre corps de bonheur."

Guy de Maupassant (1850 - 1893), Les Caresses

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Camille Claudel (1864 - 1943), Sakountala

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22 avril 2007 7 22 /04 /avril /2007 05:44
"Il s'agissait aussi entre nous trois de tout autre chose que ce que j'ai dit jusqu'ici. il s'agissait de mariage.
Hommes et femmes, nous ne pensons tous qu'au mariage. Nous sommes avares, nous voulons posséder un être, l'enterrer. C'est aussi, une fois qu'on vit avec lui, la seule façon de s'en débarrasser - bien entendu, s'il se laisse faire, s'il ne vous rend pas jaloux.
[...] J'ai toujours voulu épouser toutes les femmes avec qui j'ai couché : femmes de bordel, duchesses, pauvresses, millionnaires, etc. J'ai cru tour à tour convoiter les femmes riches pour leur richesse, les femmes pauvres pour leur pauvreté, les laides pour leur laideur : simplement, je voulais les épouser.
[...] L'Autre ne veut pas épouser Nelly parce qu'il a peur d'être cocu. Il l'est déjà.
Nelly veut épouser Jacques et ne veut pas m'épouser.
Prestiges de Jacques : il est jeune (six ans de moins que moi), brillant dans son métier; il a de l'argent. Et ce corps charmant, naïf, gardé par quelque chasteté... Il a des préjugés qui le défendent contre Nelly, une famille.
Mes prestiges : je suis vieux (six ans de plus que Jacques), j'ai eu des femmes, je suis luxurieux, j'ai une sorte de situation politique; le jour où je tiens une femme, je cesse de l'aimer."

Pierre Drieu la Rochelle (1893 - 1945), Journal d'un homme trompé

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Jean Patou (1887 - 1936), Cape et robe
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15 avril 2007 7 15 /04 /avril /2007 06:07
"J'avoue, répondit-elle, que les passions peuvent me conduire ; mais elles ne sauraient m'aveugler. Rien ne me peut empêcher de connaître que vous êtes né avec toutes les dispositions pour la galanterie, et toutes les qualités qui sont propres à y donner des succès heureux. Vous avez déjà eu plusieurs passions, vous en auriez encore ; je ne ferais plus votre bonheur ; je vous verrais pour une autre comme vous auriez été pour moi. J'en aurais une douleur mortelle, et je ne serais pas même assurée de n'avoir point le malheur de la jalousie. Je vous en ai trop dit pour vous cacher que vous me l'avez fait connaître, et que je souffris de si cruelles peines le soir que la reine me donna cette lettre de madame de Thémines, que l'on disait qui s'adressait à vous, qu'il m'en est demeuré une idée qui me fait croire que c'est le plus grand de tous les maux."

Madame de Lafayette (1634 - 1693), La Princesse de Clèves


Petrus Renier Hubertus Knarren (1826 - 1869), Jalousie
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25 mars 2007 7 25 /03 /mars /2007 05:44
"Quand nous fûmes seuls, je me sentis honteuse, gênée, sans savoir pourquoi, je te le jure. Enfin je le fis passer dans le cabinet de toilette et je me couchai.
Oh ! ma chère, comment dire ça ! Enfin voici. Il prit sans doute mon extrême innocence pour de la malice, mon extrême simplicité pour de la rouerie, mon abandon confiant et niais pour une tactique, et il ne garda point les délicats ménagements qu'il faut pour expliquer, faire comprendre et accepter de pareils mystères à une âme sans défiance et nullement préparée.
Et tout à coup, je crus qu'il avait perdu la tête. Puis, la peur m'envahissant, je me demandai s'il me voulait tuer. Quand la terreur vous saisit, on ne raisonne pas, on ne pense plus, on devient fou. En une seconde, je m'imaginai des choses effroyables. Je pensai aux faits divers des journaux, aux crimes mystérieux, à toutes les histoires chuchotées de jeunes filles épousées par des misérables ! Est-ce que je le connaissais, cet homme ? Je me débattais, le repoussant, éperdue d'épouvante. Je lui arrachai même une poignée de cheveux et un côté de la moustache, et, délivrée par cet effort, je me levai en hurlant "au secours !" Je courus à la porte, je tirai les verrous et je m'élançai, presque nue, dans l'escalier.
D'autres portes s'ouvrirent. Des hommes en chemise apparurent avec des lumières à la main. Je tombai dans les bras de l'un d'eux en implorant sa protection. Il se jeta sur mon mari.
Je ne sais plus le reste. On se battait, on criait ; puis on a ri, mais ri comme tu ne peux pas croire. Toute la maison riait, de la cave au grenier. J'entendais dans les corridors de grandes fusées de gaieté, d'autres dans les chambres au-dessus. Les marmitons riaient sous les toits, et le garçon de garde se tordait sur son matelas, dans le vestibule !
Songe donc : dans un hôtel !
Je me retrouvai ensuite seule avec mon mari, qui me donna quelques explications sommaires, comme on explique une expérience de chimie avant de la tenter. Il n'était pas du tout content."


Guy de Maupassant (1850 - 1893), Enragée ?


Albert Auguste Fourie (1854 - 1937), Repas de noce à Yport
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18 mars 2007 7 18 /03 /mars /2007 05:40
"[Nos parents] nous mettent au monde avec leur péché et ils ne s'inquiètent guère de notre rédemption. Ma mère n'a pas assez fait pour que je l'aime. [...] Son visage était meurtri par des larmes de plomb, et je perds pied dans des abîmes de dégoût quand je songe que sans son malheur elle aurait été triviale. [...] Ma mère, selon une tradition de prudence, la seule façon décente de vivre de la plupart des âmes, tendait une belle housse blanche sur ses fauteuils et sur son âme. Cela vaut mieux que de prétendre à ne pas les ménager, alors qu'on n'a pas les moyens de les renouveler.

Mais elle ne fut d'abord qu'une jeune femme, une jolie maman. J'aimais sa jeunesse, son sexe, son parfum, les grâces de sa tendresse. J'aimais sa chair comme elle aimait la mienne. Confondus dans la même substance nous ne nous étions pas encore nettement séparés. Les enfants ignorent l'affection, l'amitié qui sont commerce de l'esprit. Ils sont tout sensualité. [...] J'aimais les baisers de ma mère plutôt que sa bonté. J'aimais être dans sa chambre, près d'elle, respirer ses armoires qui s'entrouvraient. Je ne frappais pas longtemps, à la seconde d'entrer chez elle, pour la surprendre dans l'abandon de la physionomie et de la posture.

Je voyais rarement mon père, je le craignais avec de lâches tendresses d'esclave qui secrètement chérit son maître."

Pierre Drieu la Rochelle (1893 - 1945), Etat civil

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11 mars 2007 7 11 /03 /mars /2007 05:47
"Aujourd'hui, l'habitude qui remet toute chose en sa place, m'a appris un autre geste, plus conforme, je crois, à la réalité... Devant ces visages, sur qui les pâtes, les eaux de toilette, les poudres n'ont pu effacer les meurtrissures de la nuit, je hausse les épaules... Et ce qu'ils me font suer, le lendemain, ces honnêtes gens, avec leurs airs dignes, leurs manières vertueuses, leur mépris pour les filles qui fautent, et leurs recommandations sur la conduite et sur la morale.
- Célestine, vous regardez trop les hommes... Célestine, ce n'est pas convenable de causer, dans les coins, avec le valet de chambre... Célestine, ma maison n'est pas un mauvais lieu... Tant que vous serez à mon service et dans ma maison, je ne souffrirai pas...
Et patati... et patata !...
Ce qui n'empêche pas Monsieur, en dépit de sa morale, de vous jeter sur des divans, de vous pousser sur des lits... et de ne vous laisser, généralement, en échange d'une complaisance brusque et éphémère, autre chose qu'un enfant..."

Octave Mirbeau (1848 - 1917), Le Journal d'une femme de chambre


Jeanne Moreau dans le rôle de Célestine, dans le film de Luis Bunuel.
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4 mars 2007 7 04 /03 /mars /2007 06:23
Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur !

Charles Baudelaire (1821 - 1867), Les Fleurs du Mal


Charles Baudelaire (1821 - 1867), Portrait de Jeanne Duval
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25 février 2007 7 25 /02 /février /2007 06:19
LETTRE XX

LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT

[...] Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m'en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. [...] Venez donc, venez au plus tôt m'apporter le gage de votre triomphe : semblable à nos preux chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leurs dames les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut écrire une prude après un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, après n'en avoir plus laissé sur sa personne. C'est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut; mais je vous préviens qu'il n'y a rien à rabattre. [...]
Adieu, Vicomte; bonsoir et bon succès : mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n'avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu.

De..., ce 20 août 17**.

Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos (1741 - 1803), Les liaisons dangereuses


François Boucher (1703 - 1770), Tête de jeune fille, vue de dos
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