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19 juillet 2009 7 19 /07 /juillet /2009 07:50
"Grace Lane est une route d'un kilomètre et demi qui est restée privée. Il n'existe donc pas de limitation de vitesse officielle, mais la raison en impose une. Susan la place à cent kilomètres à l'heure; moi, je pencherais plutôt pour soixante. Les riverains de Grace Lane, presque tous propriétaires des grandes résidences qui la bordent, sont chargés de son entretien. Les autres voies privées de la Gold Coast ont été, pour la plupart, sagement remises au comté, à la municipalité, à l'État de New York, ou à tout autre organisme civil qui s'engageait à les assainir et à les goudronner à cent dollars du kilomètre. Mais certains habitants de Grace Lane parmi les plus riches, les plus vaniteux et les plus obtus (ça va ensemble), se sont opposés à toute tentative pour mettre cette Via Dolorosa à la charge des contribuables sans méfiance.
[...] George [George et Ethel sont les gardiens de la maison du narrateur] ne parle pas travail le dimanche et nous avions épuisé les autres sujets de conversation depuis des années. Sur le chemin du retour, nous commentons parfois le sermon. Ethel aime le révérend James Hunnings car, comme un grand nombre de ses frères épiscopaliens, ses opinions le placent nettement plus à gauche que Karl Marx.
Tous les dimanches, nous devons subir la mauvaise conscience de notre relative aisance et sommes mis en demeure de partager ces richesses méprisables avec deux milliards de déshérités.
[...] C'est moi qui conduis à peu près une fois sur deux quand nous allons à l'église, et comme pendant les trois mois que dure la saison de voile, nous séchons l'office, le trajet n'est dangereux qu'une vingtaine de fois par an.
A vrai dire, j'ai remarqué que, quand c'est Susan qui conduit à l'aller et au retour, je me sens plus près de Dieu dans la voiture que dans la maison du Seigneur.
Pourquoi allons-nous à l'église ? me demanderez-vous. Ou pourquoi ne changeons-nous pas de temps en temps de paroisse ? Je vous répondrai que nous allons à Saint-Mark parce que nous sommes toujours allés à Saint-Mark; parce que nous y avons tous les deux été baptisés et que nous nous y sommes mariés. Parce que nos parents y allaient et que nos enfants, Edward et Carolyn, y vont quand ils viennent ici en vacances.
Je vais à Saint-Mark comme je continue à aller pêcher à l'étang Francis, alors que le dernier poisson y a été attrapé il y a vingt ans. J'y vais pour maintenir une tradition, j'y vais par habitude, et par nostalgie. Je vais à l'église et à l'étang parce que je crois qu'il y subsiste quelque chose, bien que je n'aie pas vu de poisson ni ressenti la présence du Saint-Esprit depuis vingt ans."

Nelson DeMille (né en 1943), Le voisin, traduction de Nathalie Guilbert


William Mangum, Phare de Cape Cod
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