Vert paradis

"Quand ils leur rendaient visite, Finus jouait avec Birdie. Ils se promenaient dans le jardin du grand-père, parmi les azalées, les bougainvilliers, les gardénias à l'odeur entêtante, franchissaient la petite colline derrière la maison, s'enfonçaient dans les bois, roulaient entre leurs doigts de petites boules de résine qu'ils mastiquaient délicatement entre leurs incisives. Les deux dents de Birdie étaient séparées par un très léger intervalle, ce qui, bizarrement, lui faisait battre le coeur. Mais elle n'était pas plus intéressée à l'époque qu'elle ne devait l'être plus tard par ses maladroits élans amoureux, et elle décevait constamment ses espoirs chimériques. [...] Elle avait un visage qui lui paraissait irréel, aussi irréel qu'un visage de poupée, et pourtant capable de s'animer, de prendre vie soudain, et, sans s'y attendre, il se trouvait prisonnier. Elle interrompait son petit gazouillis d'oiseau, devenait immobile, un peu comme quelqu'un qui serait sujet à une brève attaque d'épilepsie. Comme si un souvenir fugace venait de lui traverser la mémoire et elle s'évadait à le suivre. Puis elle reprenait conscience, le regardait, et, sans lui laisser le temps de redevenir lui-même, elle l'attirait, l'aimantait, l'enfermait en elle, comme le ferait un corps astral plus lumineux et plus dominateur. Il était alors en sa possession. Quelque chose de vital en lui se trouvait en prison chez elle, en prison mais sans s'y sentir mal à l'aise. Jamais il ne réussissait complètement à faire coïncider sa présence réelle avec ce que cette présence lui inspirait, qui non seulement le tenait enchanté, mais le troublait si profondément qu'il ne parvenait plus à s'en détacher."

Brad Watson (né en 1955), Le Paradis perdu de Mercury - traduction de Jacques Tournier

Berthe Morisot (1841 - 1895), Petite fille assise sur la pelouse

Comments

[annick]

très beau txte, merci Agnès