"[...] à poursuivre notre métaphore jusqu'à son terme nous dirons que la passion amoureuse est toujours l'expression d'un exil, d'une séparation radicale.
Car, contrairement à l'amour où l'imaginaire d'une réciprocité semble être mis en scène, où le quotidien lui-même vient abraser la violence des sentiments, la passion est d'emblée inscrite dans la fatalité d'une séparation.
Elle représente, pour celui qui en est la proie, un "pour toujours" dans lequel le sujet s'engage dramatiquement. Depuis toujours, il était en attente de cette rencontre. Depuis toujours celle-ci était comme un suspens qui aurait dû venir combler une séparation première que nulle parole n'était venue dialectiser : une blessure béante a été révélée par cette rencontre qui depuis toujours attendait l'être susceptible de combler de sa présence une faille jusqu'alors méconnue.
Retrouvaille bouleversante, unique, source de douleur exquise et d'exaltation extrême, la passion met en scène l'alphabet des masques qui proclame un depuis toujours bouleversant. Depuis toujours je t'attendais. Depuis toujours je savais que tu viendrais. Mais quel est ce savoir qui compose les strophes d'une romance de quat'sous, désuète, dramatique et ridicule tout à la fois ?
[...] la cruauté, qui dans la passion semble être constamment présente, est à la mesure de la fatalité qui semble commander les actes, les gestes, les propos de celui qui est la proie d'une jouissance qui, tel le Buisson Ardent, brûle et ne se consume pas. Nulle issue, nul plaisir ne peut ni ne doit pouvoir soulager cette jouissance. Car la rencontre avec l'Unique est ravissante, bouleversante.
[...] La passion serait ce temps de solitude phénoménal - à deux - qui débute par un "depuis toujours", se poursuit par un "pour toujours" et meurt dans un "plus jamais (ça)"."
Jacques Hassoun (1936 - 1999), "Perte et passion" in Deuils - Vivre, c'est perdre
Alexande Cabanel (1823 - 1884), Mort de Francesca de Rimini et de Paolo Malatesta
